Ce n’est pas chose aisée. Prenons un seul exemple, à la fois simple et emblématique, puisqu’il s’agit du plus célèbre poème de Williams : la brouette rouge (dans Le Printemps et le reste, à l’instar de ses congénères, il ne porte pas de titre mais un simple numéro : le XXII). Pour mieux me faire entendre, j’en reproduis le texte original :
so much dependsupon
a red wheelbarrow
glazed with rainwater
beside the whitechickens
Comme on peut le constater, ce poème lapidaire se compose de quatre distiques de structure identique : un premier vers de trois mots, suivi d’un second vers d’un seul mot. On se représente ainsi, assez clairement, que chaque distique est une brouette (vue de profil) : le premier vers (avec son manche) prenant appui sur la roue du second ; qu’il y a autant d’effort descriptif dans la découpe du poème que dans l’instantané réaliste qui en est le sujet ; et que de ces strophes concrètes, de cette brouette prosodique, tant de choses dépendent aussi, justement. Traduire la brouette rouge de Williams implique donc de respecter les éléments de ce dispositif, c’est-à-dire d’aboutir au même équilibre en français : trois mot pour le premier vers, un mot pour le second de chacun des distiques. Soit par exemple (c’est une proposition de nuit, elle aussi, cette version m’étant dernièrement venue en songe, après vingt années d’approximations) :
tant de chosestiennent
à cette brouetterouge
luisante après lapluie
parmi les poulesblanches
Il s’agit là d’un exemple limite et presque trop « parfait », trop régulier en tout cas par rapport à la plupart des poèmes de Williams. Mais il indique la voie à suivre pour rendre compte, en français, de ses incessantes trouvailles métriques, au moins dans ses textes des années 20 et 30. Je dirais presque qu’aujourd’hui, c’est cette métrique que le travail traducteur devrait avant tout s’efforcer de rendre apparente, car c’est elle qui n’a pas été véritablement comprise, ni intégrée à notre effort.