Roland Dorgelès : Le Réveil des morts


Il se rapatriait ainsi de nouveaux habitants tous les jours. Sans maisons, sans argent, sans ouvrage, ils revenaient quand même, les vieux grimpés dans les camions de la troupe, les hardes et les gosses poussés sur une brouette, ne sachant pas comment ils mangeraient le lendemain. On s’aménageait des tanières, on descendait ses paillasses sous les tôles « métro », où Allemands et Français avaient dormi, et l’armistice n’était pas signé depuis trois mois que déjà la vie reprenait sous les ruines, comme une mystérieuse germination.

Roland Dorgelès, Le Réveil des morts,
Albin Michel, 1923, pp. 10-11.

 

Tout près des baraquements, un coin était dégagé. On transportait là toutes les pierres utilisables de l’ancienne ferme, que les prisonniers allemands enlevaient par brouettées et, à mesure que le monceau de ruines diminuait, on voyait les piles de moellons grandir. Didier Roger comptait ainsi récupérer de quoi reconstruire l’écurie, les étables et les granges.

Ibid., pp. 24-25.

 

Jacques Le Vaudoyer, cet après-midi-là, fut content de trouver Canivet, en redescendant de Marouval. Une conversation avec le borgne lui changerait les idées. Celui-ci, comme d’habitude, était occupé à brouetter les plâtras de son jardin.

Ibid., p. 39.

 

On trouvait dans la plaine des matériaux de toutes sortes : planches, tôles, solives, rouleaux de bitumé, amoncelés là en 17 en prévision de l’avance, et c’était dans ce chantier public que venaient s’approvisionner les sinistrés, aussi bien pour monter une baraque que pour se faire du feu. Le jardinier prit donc sa brouette comme d’habitude et descendit avec le Parisien jusqu’à ce parc abandonné. En arrivant, il jeta sur les matériaux un regard de propriétaire.

Ibid., p. 40.

 

Et, comme il craignait peut-être que le gendarme n’allât examiner les matériaux de sa bicoque, il reprit prudemment sa brouette et s’éloigna avec Le Vaudoyer, sans autrement discuter la consigne.

Ibid., p. 41.

 

Il avança un moment sans rien dire, faisant des crochets pour éviter les trous, puis, regardant devant lui de son œil unique, comme s’il s’était confié à sa brouette, il marmonna :
— Si vous aviez été aux cuirassiers, vous auriez connu de fameux gars… Dans le fond, ça aurait pu se faire… Ç’aurait tout de même été cocasse…

Ibid., p. 42.

 

Canivet ne demanda plus rien. Arrivé devant chez l’architecte, il lâcha sa brouette et regarda longuement l’enclos. Puis, désignant les ruines, il dit d’un ton changé :
— J’y suis venu plus d’une fois, dans le temps.

Ibid., p. 43.

 

Le district, qui commençait à fonctionner cahin-caha, n’employait guère comme ouvriers que des prisonniers de guerre et des Chinois, et tandis que ceux-ci, bien nourris, chaudement vêtus, flânaient dans le pays, se mettant quatre pour conduire une brouette vide et restant assis des heures sur les tas de décombres qu’ils devaient enlever, les habitants, privés de tout, s’aigrissaient dans le désœuvrement.

Ibid., p. 49.

 

Crevel, plus ordonné qu’on ne l’aurait cru, n’aimait rien voir traîner et, à tout instant, on le rencontrait avec sa brouette pleine.

Ibid., p. 119.

 

Près de l’Aisne, dans une sorte de ravin, les brouettes et les tombereaux déchargeaient à longueur de jour des gravats de toutes sortes, débris de tuiles roses, fragments de moellons, plâtras, bois calciné, bouts d’ardoise. C’était tout le Crécy d’autrefois qu’on enterrait dans ce grand trou.

Ibid., p. 150.

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