Didier Pemerle : À trois jours de moi


Entre l’oubli et le souvenir utiles, la nuit tranche. Le matin, ne reste définitivement irrésolue que la bulle, où je m’ignore et m’évanouis, contenue par la tête de Thomas. J’y suis pour moi comme j’étais avant de naître, d’être conçu même.
Je lui demande de prendre la brouette, deux seaux et d’aller arroser le jardin. Il pose son bol, fronce les sourcils, relève une moitié de lèvre supérieure, se colle les poings contre les tempes, coudes sur la table et émet le raclement de glotte caractéristique du malade qui se gargarise ou de l’agonisant qu’on heurte par mégarde. « Thomas, pas de comédie », lui dis-je. […]
Il est sept heures dix. J’amène la brouette sous l’escalier aux marches désarticulées mais encore assez solides pour conduire le visiteur inattentif au choc certain du crâne contre le plafond des décombres et je la pousse devant la porte de la loge, le long de la haie de bûches appuyées au mur de l’entrée.

Didier Pemerle, À trois jours de moi,
Robert Laffont, 1985, pp. 42-43.

 

J’entends dans la rue la voix de Thomas qui semble parler au grincement de la brouette.

Ibid., p. 49.

 

Bien. Les passants sont nombreux et se croisent sur le boulevard. Les roues des carrioles et des brouettes grasseyent dans la terre meuble ou se querellent avec les bancs de pavés, il ne fait pas froid, je ne pousse rien, ma journée est finie, je vais voir Gertrude.

Ibid., p. 159-160.

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