Julio Cortázar : Marelle


« La non-communication parfaite, pensa Oliveira. Ce n’est pas tant que nous soyons seuls, ça, on le sait et pas moyen d’y couper. Être seul, en définitive, c’est être seul sur un certain plan où d’autres solitudes pourraient, à la rigueur, établir un contact avec nous. Mais le moindre conflit, un accident de la rue ou une déclaration de guerre, provoque la brutale intersection de plans différents et un homme qui est peut-être une éminence en science ou en sanscrit devient un pépère pour le brancardier qui le relève dans la rue. Edgar Poe sur une brouette, Verlaine aux mains de médicastres, Nerval et Artaud chez les psychiatres de quartier. Que pouvait savoir de Keats l’apothicaire italien qui le saignait et le faisait mourir de faim ? Et, comme il est vraisemblable que les hommes comme eux gardent le silence, les autres triomphent aveuglément, sans mauvaise intention d’ailleurs, sans savoir que cet opéré, ce tuberculeux, ce blessé nu sur un lit, est doublement seul entouré d’êtres se mouvant comme derrière une vitre, dans une autre époque… »

Julio Cortázar, Marelle [1963],
traduit de l’espagnol par Laure Guille-Bataillon et Françoise Rosset,
Gallimard, coll. « L’Imaginaire », 1989, p. 107.

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