Simon Liberati : Les Rameaux noirs

Je fais un rêve pénible, pas vraiment un cauchemar. Je travaille sur un chantier comme manœuvre. Peut-être celui de l’hôtel Lotti, rue de Castiglione que j’ai visité avec Eva la semaine dernière. Le rêve me fait tomber dans un état de passivité timide — un repli silencieux plus effrayant à surmonter que la tâche à faire. J’ai souffert dans ma jeunesse du mutisme où je m’enfermais dès que je devais travailler en équipe. Les autres m’ayant laissé dans mon coin, un angle de mur à claire-voie troué par le pic des démolisseurs, je passe mon temps allongé dans la poussière de ciment à côté de petits déchets à fouiller au fond d’une cavité où je discerne au moins deux objets : un fragment d’outil taché de plâtre et une bague cabossée fixée à un écrou. Je reconnais le deuxième objet que j’arrive à retirer à force de contorsions, un anneau de tiroir en cuivre. Dans mes mains, il se met à briller. Un ouvrier qui passe derrière moi me dit que c’est une « belle trouvaille ». En me relevant, je découvre que le chantier s’est vidé. On est à la fin de la semaine et je n’ai guère avancé. Je croise un contremaître à l’étage inférieur, je lui demande « où sont les briques ? », il me regarde sans méchanceté de l’air déçu et méprisant qu’ont les travailleurs manuels pour les incapables. Son jugement est fait, la sympathie n’y peut rien, il m’indique une pile de briques neuves qui se trouve non loin sous mon nez. Je n’ai pas de brouette, je ne sais pas gâcher le ciment. L’heure de la paye est arrivée, je suis humilié de devoir bientôt demander mon salaire, et pourtant j’ai besoin de cet argent.

Simon Liberati, extrait de Les Rameaux noirs [2017],
Le Livre de poche, 2019, p. 13-14.
[contribution de Pascal Zamor]

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