Octave Mirbeau : Le Journal d’une femme de chambre

À ce moment, le petit domestique passe dans l’allée, charriant dans une brouette des pierres, de vieilles boîtes de sardines, un tas de débris, qu’il va porter au trou à ordures…
— Viens ici !… hèle le capitaine…
Et, comme sur son interrogation, je lui dis que Monsieur est à la chasse, Madame en ville, et Joseph en course, il prend dans la brouette chacune de ces pierres, chacun de ces débris, et, l’un après l’autre, il les lance dans le jardin, en criant très fort :
— Tiens, cochon !… Tiens, misérable !…
Les pierres volent, les débris tombent sur une planche fraîchement travaillée, où, la veille, Joseph avait semé des pois.
— Et allez donc !… Et ça encore !… Et encore, par-dessus le marché !…
La planche est bientôt couverte de débris et saccagée… La joie du capitaine s’exprime par une sorte de ululement et des gestes désordonnées… Puis, retroussant sa vieille moustache grise, il me dit, d’un air conquérant et paillard :
— Mademoiselle Célestine… vous êtes une belle fille, sacrebleu !… Faudra venir me voir, quand Rose ne sera pas là… hein ?… Ça, c’est une idée !…
Eh bien, vrai !… Il ne doute de rien…

Octave Mirbeau, Le journal d’une femme de chambre [1900],
Le livre de poche, coll. « Les Classiques de Poche », 2012, pp. 228-229.

 

J’étais curieuse de connaître les impressions du capitaine sur cette mort si brusque. Et, comme mes maîtres étaient en visite, je me suis promenée, l’après-midi, le long de la haie. Le jardin du capitaine est triste et désert… Une bêche plantée dans la terre indique le travail abandonné. « Le capitaine ne viendra pas dans le jardin, me disais-je. Il pleure, sans doute, affaissé dans sa chambre, parmi des souvenirs »… Et, tout à coup, je l’aperçois. Il n’a plus sa belle redingote de cérémonie, il a réendossé ses habits de travail, et, coiffé de son antique bonnet de police, il charrie du fumier sur les pelouses avec acharnement… Je l’entends même qui trompette à voix basse un air de marche. Il abandonne sa brouette et vient à moi, sa fourche sur l’épaule.
— Je suis content de vous voir, mademoiselle Célestine… me dit-il.

Ibid., p. 351.
[contribution de Florian Ferré]

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