Eugène Ionesco : Le roi se meurt

LE GARDE , pendant que Juliette se met à pousser
le Roi dans son fauteuil à roulettes
et le promène autour du plateau

Majesté, mon Commandant, c’est lui qui avait inventé la poudre. Il a volé le feu aux Dieux puis il a mis le feu aux poudres. Tout a failli sauter. Il a tout retenu dans ses mains, il a tout reficelé. Je l’aidais, ce n’était pas commode. Il n’était pas commode. Il a installé les premières forges sur la terre. Il a inventé la fabrication de l’acier. Il travaillait dix-huit heures sur vingt-quatre. Nous autres, il nous faisait travailler davantage encore. Il était ingénieur en chef. Monsieur l’Ingénieur a fait le premier ballon, puis le ballon dirigeable. Enfin, il a construit de ses mains le premier aéroplane. Cela n’a pas réussi tout de suite. Les premiers pilotes d’essai, Icare et tant d’autres, sont tombés dans la mer jusqu’au moment où il a décidé de piloter lui-même. J’étais son mécanicien. Bien avant encore, quand il était petit dauphin, il avait inventé la brouette. Je jouais avec lui. Puis, les rails, le chemin de fer, l’automobile. Il a fait les plans de la tour Eiffel, sans compter les faucilles, les charrues, les moissonneuses, les tracteurs. (Au Roi.) N’est-ce pas monsieur le Mécanicien, vous vous en souvenez ?

 

LE ROI

Les tracteurs, tiens, j’avais oublié.

Eugène Ionesco, Le roi se meurt [1962],
Gallimard, collection « Folio », 1991, pp. 107-108.

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