Christian Prigent : Commencement

Je sentis l’acide de ses viandes blettes, l’âme en talc ammoniaqué de son tablier. Elle m’aurait piqué mon ptit élastique. Son truc à lapins m’eût scalpé la pine. Je la voyais déjà m’suriner l’chewing-gum. C’est là qu’on sait sans trop savoir à quoi ça sert ce bout de gomme, quand ça pourrait qu’on la dégomme. Grand froid sur la question des étiquettes. Résumé en bref : entrée dans la vie des quéquettes. Je fonce entre les brouettes. Je sens son souffle gracer mes omoplates. En fait elle est coincée pas mal côté rotules mais je préfère pas faire courir de risques à ma pendule. J’entends j’va-t’cou j’ai pas besoin d’entendre après. Je prends la poutre pour la paille je vis son œil trouer la nuit j’ai décampé pas fou l’guêpier.

Christian Prigent, Commencement,
P.O.L, 1989, p. 196.

 

Au fond du jardin, après les rutabagas, je mets groseilles à maquereau, abricots, divers fétus, genets d’Espagne, nos bouchent burent à ça, ce fut l’écume de nos cacas. Dépôt de ça dans un moment du moi ce que ça donnera je ne le sais pas ce caca je le laissa il n’est plus à moi. Il y a encore, cadrés par trois cyprés derrière les framboisiers : motes mouillées, cages à lapins, briques défoncées, une cabane où sont les outils, des bras d’bérouettes dépeinturés tout grifendillés, ça fait partie de la matière qu’on a habitée, qui parfuma d’émoi la plus infime de nos urines. Car, l’habitant, on fut, gredins pas trop débroussaillés, les coudes crevés, cloués en chair dans la clôture de ce moment enfant, presque au commencement, dans le jardin où passent les parfums.

Ibid., p. 206.

 

Salut, Nello, sur ton vélo ! Salut, Louison, sur ton vélon ! L’effort musculaire captive nos émois, axe nos actions, c’est bon, pédalons ! Le peloton de nos oxygénations chuinte de tous ses rayons dans la côte d’Hillion. Déviation. Grèves grises et ciel beige et toujours trop de vent. Grand-mère enroule derrière un fort développement. Ses cheveux gris sont un peu bouffés par un vol de mouettes qui lui picorent la voilette. Moi, j’ai sa silhouette dans un coin des mirettes. Ma cousine agite ses couettes sur son ptit tricycle stabilisateur. Papa passe avec sa brouette, un coton planté dans l’trou du naseau. Maman suit sur sa trottinette. Cette théorie défile à toute blinde en pensant que peu. Louison freine à mort en haut de la côte. Il a crevé. Il change de boyau. Ça sent la dissolution. Passez les rustines sur le trou du temps. Tout fou le camp. C’est crevant. Fin de la vision.

Ibid., p. 250.

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