Alexandre Vialatte : Chroniques de la Montagne (2)

C’est là que se trouve l’imprimerie où Balzac découvrit mille moyens ingénieux de s’endetter pour toute sa vie. En face, l’hôtel particulier d’une favorite de Louis XV cache la maison de Racine sur laquelle est sculptée la figure du grand homme dans un immense médaillon. Je devais y fonder une revue suédoise au lendemain de la Libération. C’était une idée scandinave qu’avait eue une dame de Stockholm. Elle avait loué à cet effet tout un étage. Il était vide. Nous n’y trouvâmes qu’un crâne de mort, dans la cuisine, un casse-tête et un roman chinois. Comme il faisait moins trente, elle acheta le « Vert-Logis », qui avait appartenu à Mme Steinheil, et elle en rapporta un chêne sur une brouette. Elle lui arrachait des branches vertes qu’elle jetait dans la cheminée avec leurs feuilles, leur mousse, leur poil et leurs limaces. On ne pouvait pas y mettre le feu. On n’arrivait qu’à dégeler les limaces qui se répandaient sur le crâne de mort.

Alexandre Vialatte, extrait de « Arts et littératures de la rue Visconti » (29 juin 1954),
in Chroniques de La Montagne (1952-1961),
Robert Laffont, coll. « Bouquins », p. 189.

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